Photographies de Tatiana Philiptchenko
Peux-tu nous parler de ton parcours d’artiste ?
Je m’appelle Arnold Daniel Cruz Cetina, mais tout le monde me connaît sous le nom de Datoer. Je peins depuis 15 ans et je me consacre aux murales depuis 10 ans. Mon aventure a commencé avec le graffiti, que je pratique depuis vingt ans.
As-tu suivi une formation en art ou es-tu autodidacte ?
Beaucoup pensent que le talent artistique est inné, mais pour moi, c’est un apprentissage constant. J’aurais aimé suivre des études en art, mais ce n’était pas possible, alors j’ai appris par moi-même. Cela fait vingt ans que je me forme en autodidacte.
Tes murales portent-elles toujours un message social ?
Je réalise toutes sortes de fresques, mais dès que j’en ai l’occasion, je reviens aux racines du graffiti : une voix pour ceux qui n’en ont pas. C’est dans ces moments-là que je me concentre sur des sujets sociaux pour éveiller les consciences.
Es-tu influencé par des artistes comme Banksy ?
J’admire de nombreux artistes, tant mexicains qu’internationaux, mais celui qui m’a le plus marqué est le maître Belinchón, de Linares, en Espagne. Voir son travail de près m’a poussé à évoluer du réalisme vers l’hyperréalisme—ce niveau de détail qui fait qu’une peinture peut ressembler à une photo.
Quel a été l’impact de la pandémie sur ton travail ?
Au départ, beaucoup ici pensaient que la pandémie ne nous toucherait pas autant que l’Europe. Mais lorsqu’elle s’est installée, j’ai été choqué d’apprendre que des travailleurs de la santé étaient agressés simplement parce qu’ils travaillaient en milieu hospitalier. Certains n’étaient même pas en contact avec des patients atteints du Covid-19, et pourtant, ils étaient traités comme des menaces.
J’ai ressenti le besoin d’agir. J’ai décidé d’utiliser mes murales pour sensibiliser le public. La réaction a été immense. Des personnes que j’avais peintes sont venues me voir en larmes, reconnaissantes que quelqu’un mette en lumière leur combat. Je ne m’attendais pas à un tel impact, mais je suis heureux que le message ait trouvé un écho.
Penses-tu que l’art peut vraiment aider à faire passer des messages importants ?
Oui, sans aucun doute. Certains passent devant une murale sans s’arrêter, mais d’autres prennent le temps de regarder, de lire et de poser des questions. Et quand ils reconnaissent les personnes représentées—des héros du quotidien qui ont tout donné pour protéger les autres—un lien se crée. C’est là que l’art prend tout son sens.
Comment as-tu choisi les travailleurs de la santé représentés dans tes fresques ?
J’ai lancé un appel sur mes réseaux sociaux en demandant des photos de soignants, en m’attendant à recevoir quelques images. En trois heures, j’en avais plus de 2 700 ! Comme je finançais tout moi-même, j’ai dû faire un choix.
J’ai pris le temps de lire chaque histoire et de sélectionner celles qui me touchaient le plus. Par exemple, une femme qui allait prendre sa retraite a décidé de rester pour affronter la crise, non pas pour l’argent, mais par amour pour son métier. Une autre, épidémiologiste, a tout fait pour que les patients puissent dire adieu à leurs proches. Ces récits méritaient d’être partagés.
Combien de temps faut-il pour réaliser une murale ?
Tout dépend du projet—certaines fresques me prennent 18 heures, d’autres jusqu’à 32 heures.
Comment finances-tu tes murales ?
Au début, je couvrais tous les frais moi-même : peinture, bombes de spray, transport, nourriture… Vers la fin, j’ai reçu un peu d’aide pour le matériel, mais la grande majorité des coûts restaient à ma charge. Je l’ai fait par conviction, pour sensibiliser les gens.
Quel est le coût d’une fresque murale ?
Selon la taille et les matériaux, une murale coûte entre 8 000 et 15 000 pesos.
Comment choisis-tu les emplacements ? As-tu besoin d’autorisations ?
Pour les murales de quartier, je demande directement aux habitants s’ils acceptent que je peigne sur leurs murs. Dans les espaces publics, c’est plus compliqué—surtout dans les zones centrales où il faut des autorisations gouvernementales, souvent difficiles à obtenir.
As-tu remarqué un impact concret de ces murales ?
Oui, sans aucun doute. Pendant la pandémie, voir ces figures masquées sur les murs rappelait aux gens l’importance des précautions sanitaires. Peu à peu, le port du masque est devenu une norme ici—95 % des habitants ont suivi les recommandations. C’est la preuve que l’art peut vraiment faire bouger les choses.